Au premier jour de l'An Neuf, pourquoi ne pas tracer un bilan, esquisser des pistes d'action, évaluer les incertitudes, et dégager un avenir possible ?
La première chose frappante est cette épidémie, qui non seulement tue - 70.000 en Russie en un seul mois, décembre 2021 - mais aussi est en train de changer, de bousculer pas mal de choses qu'on trouvait éternelles, ne serait ce que le travail, ses conditions.ou les commerces. Ou les taux de natalité, ou les choses avouables.
La deuxième indéniablement est, soumis à des pressions qu'on pourrait croire collectives, ou secondaires, les gens semblent devenus fous, et surtout ne s'en cachent plus. Il en est par exemple de la phobie anti vax, qu'on voit s'installer même dans les professions médicales. Jupiter rend fous ceux qu'il veut perdre.
La troisième est - nous le savions depuis les rodéos américains - extrêmement difficile de maîtriser un cheval non dressé, encore plus un million. On a vu des gouvernements prendre des mesures à l'inverse du bon sens, et ne pas les respecter lui même.
Enfin, je pense que soumis à une pression inhabituelle (un peu comme une guerre, etc), les gens se sont révélés tels qu'ils étaient, au delà des apparences sociales. Peur de la mort, besoin d'oublier, les ressorts fondamentaux chers à Pascal se sont réveillés. Celui du bouc émissaire - celui à sacrifier pour calmer le courroux des Dieux - cher à Girard n'est pas loin. Déboussollement, folie ? qu'importe le mot. J'en aurais mille exemples. Le dernier observé étant hier soir, quand je demandais à un jeune encore étudiant ce qui lui ferait plaisir pour la nouvelle Année. Je l'entendis me répondre : des sneakers Balenciaga. Ma connaissance ne dépassant pas Weston ou André, au mieux Louboutin, Google me renseigna : ce sont des baskets type Nike, au prix "déconseillé" de 850 € !!! à 68a, gagnant ma vie, et l'ayant gagnée, je suis déjà effaré par les chaussures à plus de 300€; Je compris pourquoi les jeunes chinoises et les autres peuvent dépenser 5.000 € dans un sac ! voire plus.
Cela m'a rappelé un film revu cette semaine : Les Dix Commandements. et l'épisode du veau d'Or. Oui, le luxe paraît indispensable à beaucoup, enfin un certain luxe. Plus au profit des apparences ou des codes de la doxa que des nécessités. Art Moderne, bijoux, montres Rolex, voitures, tres grands écrans, vacances au bout du monde, voire certains vins passés du statut de boisson à celui de marqueurs sociaux. Il n'est qu'à se plonger dix minutes dans 40 comptes d'instagram pour comprendre ce poids. Le monde des influenceurs.
Du changement, J'en ai eu plusieurs exemples ordinaires cette semaine. Par exemple, il m'a été impossible de trouver une batterie cette semaine sur Paris, même en contactant un service VIP. Mais plus prosaïquement, notre marché hier n'avait aucun boucher - alors qu'il y en a trois d'habitude - et la volaillère a pris 3 semaines de congés en cette période importante. Idem dans beaucoup d'administrations etc. Le travail est il devenu une denrée introuvable ? Ne parlons pas de la folie des tests !!
Pour ma part, cette année fut bien chargée, et sans un travail intense, quotidien, mais aussi à terme, il aurait été impossible de faire face. et l'Année 2022 ne se présente pas mieux pour l'instant, avec une conjoncture morose, et des stocks au plus bas, avec une récolte moitié. 3 années très dures obligent à des réflexes de survie.
Du coup, pris dans le quotidien, et les problemes a court terme, on oublie de regarder le cap, ou de le remettre en cause. Les résultats du Recensement Général Agricole, à venir, seront riches pour dessiner les réalités et dégager les nouvelles contraintes. Le nombre des exploitations agricoles a baissé de 20% en dix ans, même en viticulture avec - 10%. mais les petites exploitations - de moins de 12 ha - ont baissé de 30% et l'âge moyen des exploitants est de 57%.. Comment définir un futur, et l'avenir de Mattes, alors que j'ai 68a, dans un monde très incertain. C'est dans La Rochefoucauld je crois que se trouve la phrase :" il faut vivre comme si on devait mourir demain ou jamais"
Pour l'instant, la question qui me taraude est comment améliorer mes vins ? il y a eu d'abord le cap des cépages à implanter, de l'âge de ses plantations, puis des méthodes d'élevage en barriques, puis des blancs. et maintenant, il est probable que je n'ai plus 20 ans devant moi pour tout recommencer. Je pense que le point clé est l'exigence, puis l'assemblage. Parfois on trouve par hasard un résultat heureux, mais comment le généraliser ? Par exemple, le Millénium est sans doute un vin que j'ai toujours préféré; pourtant les syrahs rentrant dans sa composition étaient jeunes. Et c'etait le deuxième vieillissement en fûts que nous faisions. Comment valoriser le cabernet franc si bon à Mattes ? Que sera la prochaine plantation de viognier ? alors que la première mit quasiment 8 ans a être satisfaisante ? faut il refaire du vermentino, si bon à Mattes ?
C'est en remuant tout cela que j'ai bu quelques anciennes bouteilles de Mattes ou d'ailleurs, en cette periode. Des blancs du jura, de 1979; Une Alyette de 1994, du carignan cépage que je n'aime pourtant pas, qu'on dit inapte au vieillissement, et qui offrait un superbe bouquet ! même la première Sabran de 1997, issue de syrahs jeunes.
Que sera 2022 ? largement imprévisible aujourd'hui !! il faut être prêt à tout, c'est aussi ce que nous enseigne cette longue crise. Pendant longtemps, j'ai envié les vignerons vendant aux cavistes, à la restauration - je me souviens d'un confrere heureux avec 40.000 bouteilles/an aux bistrots parisiens - je dirais aujourd'hui qu'il faut un certain équilibre entre toutes les options. Je suis assez content que nos ventes directes, notamment au caveau, soient en hausse malgré la dureté des temps. Mais il faut aussi sans doute imaginer d'autres approches, d'autres actions pour lutter contre la pire tendance : les gens boivent de moins en moins de vins !