Fin d'année, dont le visage chaque année s'accentue. Pour les uns, la fête obligatoire, sinon le départ pour des vacances, pour les autres, pas mal de formalités, notamment pour les entreprises, et leurs gérants : boucler les comptes, faire des bilans, voir les actions à venir, faire les inventaires au 31.12, etc, toutes choses devenues de plus en plus impératives au fil du temps.
Tout s'est accentué de part et d'autre au fil du temps. Oui, je peux regarder le passé, arrivant dans l'année de mes 60 ans ! jadis, les voeux étaient la chose la plus indispensable, surtout pour l'enfant que j'étais. Voeux à chaque membre de la famille, même aux plus insupportables, cartes pour les plus lointains, voeux à la maîtresse d'école qui avait droit à un petit cadeau, aux voisins, ceci dès le 1° janvier. Il n'était pas rare de voir arriver des gens pour moi inconnus à la maison venant présenter leurs voeux, et qui repartaient après les propos d'usage, et le verre de goutte, pour les plus "buvards", dans les familles généreuses..Ma grand mère s'en tenait aux prières, et à un billet de 5 F, parce que j'étais le filleul.
Il n'y avait pas de réveillon, au moins tant que nous fûmes enfants, c'est à dire jusqu'à 15 ans, et 20 ans pour les aînés. Le 1° janvier, il y avait un grand déjeuner de famille, chez l'un ou chez l'autre, réunissant les cousins.
Cette année, Paris est plein de touristes, noir de monde. Il fallait hier matin vers 11H les environs de la Tour Eiffel. Même le marché de la rue Clere, dans ce 7° discret et prudent, était peuplé, et d'habitants et de musiciens. Certaines grands mères cherchaient déjà à préparer un réveillon, qu'on devinait parfois sommaire...à la commande..
Oui, Paris noir de touristes, que je suppose essentiellement étrangers, des ex pays de l'Est. Des Japonais plus âgés aussi, des jeunes couples, des bandes de chinois, surtout dans les grands magasins aux mille feux et vitrines effarantes par les prix. Les chinois sont là, ils dépensent, la Concorde déploie sa roue, son sapin un peu esseulé, les quais sont embouteillés, bref Paris pour une fin d'année ressemble à l'an 2000, alors que d'habitude, le silence règne.
C'est le cas dans notre quartier, où le seul visage (à vrai dire j'ai d'abord reconnu le dos puissant) croisé est celui de Gérard Depardieu, qui, non, hier n'était pas en Belgique, mais faisait du scooter dans "sa rue". Il aurait été intéressant d'avoir une conversation avec un confrère vigneron, et de saluer les mânes de Jean Carmet autour d'un verre, mais a t'on le droit d'une telle fantaisie, fut ce le 30 décembre ?
Donc bilan de fin d'année. Les chiffres comptables ne tomberont que début mai dans leur sécheresse et leurs colonnes alignées. Un sentiment en attendant ? contradictoire et mélangé. Les ventes directes sont juste égales à celles de 2011, qui avaient connu un fort recul. Faut il alors parler de résistance ? Le caveau semble remonter un peu. Les prix par contre sont aussi plats pour le vrac, qui représente maintenant la moitié de nos ventes. Sait on qu'ils sont inférieurs en monnaie courante à ceux de 1998, il y a quatorze ans ?
Cela fait rêver, quand les magasins, partout, témoignent d'une inflation invraisemblable pour des choses banales ! pommes à 2 €, etc, le croissant à 1.50 € soit dix francs de jadis..chèvres à 7 €, baguette...Je l'ai connue à 0.35 puis à 0.42 au début des années soixante, ce qui fait 5 ou 6 centimes d'euros. Pour 40.000 FF, on avait une vaste maison spacieuse en pierre, et son terrain.
Oui, tout a glissé, et pas vraiment vers le progrès, sauf pour certaines classes sociales, qui vivaient vraiment dans des conditions proches de la misère, réelle. Car là aussi, le visage de la misère a changé.
Il n'était pas rare que bien des logements alors (1970) n'aient pas le confort élémentaire, non de nos conditions d'aujourd'hui, mais d'alors. Sol de terre battu, ou plancher hors d'âge, ou ciment, une ampoule maigre, l'eau froide à la fontaine, parfois sur l'évier. Pas de salle de séjour, mais une cuisine, vaste ou rétrécie, qui servait à tout. omni présent, un fourneau, servant aussi bien à la cuisine qu'au chauffage. La machine à laver arrivait. Il n'était pas rare de voir encore des souliers en bois, et les voitures n'étaient pas autant répandues. Des meubles souvent rares, ou très vieux.
Aujourd'hui, parfois la TV présente des cas de familles dites "nécessiteuses" ou "pauvres". Ma réaction est souvent la même : des cuisines auxquelles rien ne manque, des visages parfois rubiconds, des ordinateurs, des tv écran plat, des gens assez bien habillés, bref, comme l'on dit, "une misère loin de sauter aux yeux". Certes, Paris regorge cette année de clochards, mais c'est différent de la "misère officielle".
Cette idée - du confort relatif - m'a souvent frappé. J'avais alors le sentiment que les différences entre riches et pauvres, à mon échelle, n'étaient pas si grandes qu'aujourd'hui. Des gens relativement riches - pas des émirs - vivaient , et s'en contentaient, dans des conditions qui nous paraitraient aujourd'hui sommaires. Chauffage central souvent absent. Cuisine préhistorique ou inexistante. J'ai eu la confirmation de cette impression d'alors en visitant la Boisserie et Malagar plus tard. A part l'espace, le volume de la maison, certains beaux meubles, ces maisons certes ont un charme, mais ne sont pas l'idéal des générations d'aujourd'hui, et même l'opposé, décors simples voire pauvres, en tout cas peu rationnels et inconfortables suivant les normes actuelles.
Mais je m'égarerai presque, sinon pour dire que sur cette place de la Madeleine qui elle n'a pas changé, je viens de voir une bouteille de château Latour à 970 €, et un coffret de trois bouteilles, dont deux seconds vins de grands châteaux à 2.960 € !! on est en train de perdre le sens commun !
Ceci me ramène à un livre que j'aime beaucoup de William Bonner sur ""l'inéluctable faillite de l'économie américaine", qui a le mérite sur beaucoup d'ouvrages d'avoir prédit la crise de 2000 (internet), et surtout 2008, bancaire, en analysant le fonctionnement de l'économie américaine : privilège du dollar, baisse relative des salaires pendant 40 ans, endetttement excessif des classes moyennes, qui non seulement s'endettent, mais n'épargent pas !! tout en voulant protéger leur niveau de vie..parmi mille symptomes.
Oui, aujourd'hui, nous sommes à la veille de la falaise fiscale. Que faut il souhaiter ? tout ceci semble bien impossible à mettre en oeuvre de façon rationnelle.
Oui, de plus en plus, il semble que nous vivons dans un "monde virtuel". Je ne parle pas spécialement de ce monde audiovisuel, que je ne connais pas, de toutes ces stars, dont le nom ne me parle pas, de ces atmosphères un peu irréelles dans lesquelles nous baignons, et pas seulement le 31 décembre. Jamais on n'a tant fait d'émissions de cuisine à la tv, et jamais les gens n'ont si peu cuisiné !! tout maintenant appartient au monde du préparé, du surgelé !! on parle de la fonte des glaciers, mais la fonte de nos traditions, qui pourtant explique notre histoire pour 2000 ans, est passée sous silence. Hier, à la radio, un de nos grands cuisiniers, M. ALAIN SENDERENS, expliquait que pour son restaurant, et la qualité, il s'approvisionnait en agneaux d'Espagne !! que les éleveurs français avaient perdu le métier ! pourtant la France n'a t'elle pas plus de verts paturages que la seche Espagne ?
Hier toujours, chez un des plus anciens et connus pâtissiers de Paris, je demandais à un de ces grands jeunes hommes maigres tout en noir qui marquent nos boutiques de luxe, "une tarte Bourdaloue" qui fut longtemps la spécialité de la maison, et méritait en effet le détour!! Il me tourna une paire d'oeils surpris, pensant à une fantaisie de diplodocus égaré ! Eh oui, il ignorait, dans ce vatican de la patisserie, ce qu'était une tarte Bourdaloue !! la gloire de sa maison !
Ce sont toutes ces impressions qui me baignent en cette fin d'année. Traditions, apparences ronflantes, écume des jours, réalités discrètes mais solides, qui va l'emporter à long terme ? C'est particulièrement critique pour la viticulture française, héritière de traditions nées à Rome, retrouvées au Moyen Age, et simplement perfectionnées depuis. C'est aussi le premier poste excédentaire de la balance commerciale. Garder les traditions, voire les enrichir, mais aussi évoluer dans un monde qui change.
« Si nous voulons que tout reste tel que c'est, il faut que tout change » (Le Prince Lampedusa).