Les émotions qu'on peut ressentir n'appartiennent pas aux mêmes espèces. Que je vois un paysage remarquable, grandiose, une fleur nouvelle, l'oeil se met en marche, et veut pénétrer les détails, pour saisir le maximum dans une sorte d'enveloppe, de baiser. Mais cela reste à la surface et n'agite pas l'âme. Le toucher quant à lui est plus discret encore, au contact d'une soierie et d'un lainage, cela en est presque rationnel, et concerne le travail bien fait. L'odorat quant à lui est souvent surpris, et il cherche dans sa mémoire une analogie. L'odeur des pins, de la vanille, des épices, de la muscade, des branches de cedres, des lis, de ce gâteau, voire des expériences de chimie, ou de ces sols de supermarché. L'odeur des couvents du passé, des fermes d'autrefois. Mais c'est une sensation qui s'impose malgré soi, qui vient de dehors, et n'émeut pas outre mesure. Tout au plus éveille t'elle un souvenir, un instant passé, un moment d'avant. Le goût quant à lui est plus suggestif, il demande de prendre conscience, de réfléchir, de chercher des analogies, et suivant le moment, le jour, l'endroit, le goût peut légèrement varier. En tout cas, on le sent en soi, quelque part il devient interne, part de soi, dans le présent. Mais le coeur ou le sentiment n'intervient pas, les émotions frémissent mais se maitrisent.
Le son quant à lui est très différent. Cela peut être celui d'une voix, d'une musique, et pour des raisons mystérieuses, notre coeur se met parfois au diapason, fortement et involontairement. Ce peut être la voix si spéciale de François Mauriac, parlant de Malagar, valant par les mots, les silences, et surtout le ton, le timbre lui même, ca peut être le Général, dans un discours et ses rythmes "un quarteron de généraux en retraite ...jusqu'au Francais, Françaises, aidez moi", qui tiennent certes à leurs auteurs, à une sensibilité disons programmée, et qui alors s'écoule. Mais on peut le retrouver dans un film, avec un acteur inconnu, mais c'est déjà plus rare. Cela ne tient pas au contenu lui même, au drame possible, car ca peut relever du comique, comme Bourvil dans "en revenant de la revue, gais et contents". Ce sont en quelque sorte des clés qui ouvrent en nous de multiples portes fermées, et pénétrent par leur magie.
La musique de Bach offre souvent cela, quand l'interprète est à la hauteur. Le Divin passe et apparaît, s'impose, s'incarne. Puis il y a ces musiques que nous ne connaissions pas, que nous entendons un jour par hasard, comme l'opus 34 de Brahms, comme l'Heroique de Beethoven, comme Wagner souvent, et qui vous broient , vous agitent, vous retournent, et témoignent d'une intense émotion, comme aussi des chansons de Piaf, ce qui montre bien que ce n'est pas une question de genre musical, et que tout le processus est mystérieux.
Parmi toutes ces musiques, justement, celle du site, accueil, fait partie de celles ci. Je l'entendis par hasard un jour de grande tempête, vers 17H20, et à 19 H, j'avais ce disque dont l'effet est le même, apres 100 ou 200 fois. Il s'agit de l'ALLELUIA, 2° morceau de la cantate 15 de BUXTEHUDE, maître de JSB. "Le Seigneur est avec moi", qui rejoint quelque part dans sa perfection le "Ich Habe genug" BWV 82 de JS B.
Quand mes vins seront capables d'inspirer un flot identique d'émotions, et de perfection, alors oui "Ich habe genug". Toujours est il que lorsque je fais des dégustations ou des assemblages à Mattes, j'ai souvent dans la tete une musique particulière, qui m'entraîne. Comme aussi en buvant un vin, un assemblage, on sent s'il est dans le ton. Il y a la musique du Chevreuse, un son spatial, qui serait entre violon et orgue, mais dont le ton est connu, qu'il faut retrouver, reproduire à chaque millésime, en essayant de l'améliorer.
Notre travail d'assemblage ne consiste qu'a combiner des sons, à faire justement qu'ils soient agréables, une belle attaque, une harmonie, pour se combiner et avoir une finale aussi longue et agréable que possible.Oui, le vin, c'est un diapason, pour l'essentiel. Le son du cristal............